La magnanerie de Bsous, dans le caza de Aley, a retrouvé une nouvelle jeunesse. Cette bâtisse, construite vers 1830, s’est lentement transformée depuis trois ans. Les voûtes d’abord, celles du sous-sol qui abritent toujours les jarres d’huile que le domaine commercialise sous le nom «Kouroum Zyout» puis, peu à peu, l’ensemble de l’espace, doté d’une salle polyvalente à l’occasion du colloque «Ainsi soie-t-elle», qui réunit depuis ce matin et jusqu’à demain des spécialistes, libanais et étrangers, de la sériculture, sous le haut patronage de Rafic Hariri. Alors que le propriétaire du domaine Georges Asseily était installé à Londres, deux Français, Françoise Lenoble-Prédine, ethnobotaniste, et Thierry Huau, paysagiste, tombent littéralement sous le charme de la magnanerie et de ses 3,7 hectares de vergers et d’oliveraie. «Ils m’ont aussitôt proposé un plan de réaménagement, explique M. Asseily. Avec promesse de faire le maximum pour demander une aide à l’Union européenne». Les premiers travaux commencent, sans financement. Il n’y en aura en fait aucun, mais l’ancien président de l’Association des industriels libanais, reconverti en financier basé à Londres, se laisse prendre, «sans avoir compris comment», par l’engrenage de son domaine de Bsous. Les paysagistes découvrent que celui-ci a une oliveraie composée de pas moins de 10 kilomètres de terrasses. Elles sont réhabilités à l’ancienne par un jeune jardinier de la région. «Puis nous nous sommes attaqués aux vergers qui sont composés maintenant d’une dizaine de variétés d’arbres fruitiers».
La jeunesse de Bsous et l’ethnobotanique Mais la grande nouveauté du domaine de la magnanerie de Bsous, c’est la constitution de son jardin ethnobotanique : «Des espèces libanaises oubliées y sont replantées, comme le zaarour (fruit de la taille d’une cerise avec un goût de pomme) ou le jujube», poursuit Georges Asseily. Depuis trois ans et trois fois par an, des élèves du Lycée agricole et horticole de Saint-Germain-en-Laye (France) viennent se former et aider les jardiniers libanais. «Ce qui me fait le plus plaisir, c’est d’avoir réveillé des vocations chez les plus jeunes du village, confie-t-il. Ils viennent au domaine, posent des questions, organisent des randonnées et des expositions de photos à Bsous». Alors dix d’entre eux se chargeront d’accueillir les élèves des écoles qui viendront visiter, les 13 et 14 octobre, l’Atelier des jeunes jardiniers, organisé dans l’espace ethnobotanique. Les plus curieux se lanceront dans la «promenade sensorielle». Voilà pour l’aspect écologique du domaine.
Du ver au fil de soie Car, après tout, il y a là une magnanerie, l’une des 175 répertoriées à travers le Mont-Liban et le Liban-Nord et qui ont fait la gloire du pays entre 1830 et 1945, grâce aux industriels de la soie venus de France trouver un nouveau marché. Avec leur aide, les usines ont pu contenir jusqu’à plus de 500 bassines, unité de comptage séricicole. «Le procédé est simple», explique Georges Asseily, photos d’archives, schémas et cocons réels à l’appui. «Quand la petite pelote de fil de soie, un fil unique mesurant entre 800 et 1 500 mètres, est vidée de son ver, elle est plongée, avec un groupe de six autres, dans un bassin d’eau chaude pendant trois minutes, qui retire la colle et enrobe le fil. Un second bassin d’eau, tiède celui-là, permet de dévider les sept cocons et de constituer un fil, qui constitue un écheveau de fil, prêt à être placé sur le métier à tisser». Georges Asseily, à l’occasion du colloque, a réaménagé la magnanerie qui se transformera bientôt en musée : «J’ai fait des recherches chez les antiquaires français et même sur Internet pour les trouver», dit-il en montrant les clichés sépia agrandis et montrant les fileuses dans les différentes étapes de la préparation de la soie. Bref, en quelques minutes, n’importe quel curieux saisira le processus et s’intéressera aux noms des familles soyeuses du Liban, écrits à la main sur un document d’origine.
Soies d’ici et d’ailleurs On retrouve des noms connus, comme ceux de Pharaon et Chiha, importants pour la production, et celui de Bassoul pour l’exportation : «La soie a été le principal moteur de l’essor du port de Beyrouth», affirme Georges Asseily, qui précise que la plus grande usine à soie se trouve à Steiter (près de Bhamdoun) et a appartenu à une des grandes familles lyonnaises du secteur : Veuve Guérin et fils. «À l’occasion d’“Ainsi soie-t-elle»”, j’ai demandé à des étudiantes de l’Usek et de l’USJ de photographier ces bâtisses, aujourd’hui la plupart à l’abandon, mais aussi au dernier tisserand, un cheikh druze, de venir utiliser un métier à tisser manuel et à des tisserands français, spécialistes du travail conjoint de l’or et de la soie, de venir former et informer sur cette technique», renchérit-il. Alors, du 13 au 18 octobre, l’exposition «Les Fils d’or et de soie» offrira une vue d’ensemble sur le sujet. La magnanerie de Bsous ressemble à une ruche où jardiniers, maçons et paysagistes s’activent autour d’un Georges Asseily encore un peu incrédule, mais heureux du destin de la vieille bâtisse dont il hérité il y a 30 ans. Sa magnanerie est en passe de devenir un lieu touristique incontournable de la région. Un exemple qui mériterait d’être suivi.
L’Amed, pour défendre le patrimoine bâti et végétal Depuis la restauration du domaine de Bsous, l’Association mémoire et développement a été créée en 2000, dans un but non lucratif. Elle se destine à conserver et à développer le patrimoine bâti et végétal. Ses membres fondateurs sont : Georges Édouard Asseily, Alexandra Durlacher Asseily, Nicole Halim Fayad, Aziz Mikhaël Torbey et Nicolas Saïd Farès. La conseillère à la création de l’association a été l’ethnobotaniste française Françoise Lenoble-Prédine.
L’histoire de la soie dans une tasse de thé C’est la Chine qui a découvert, il y a deux mille ans avant J-C, le travail de la soie grâce à la fille d’un empereur qui jouait avec un cocon en buvant son thé. Celui-ci tombe dans sa tasse et en essayant de le rattraper, la jeune fille découvre qu’il n’est fait que d’un seul et unique fil. La soie était née. Elle allait traverser les continents et devenir, au même titre que l’or, une unité de valeur. Diala GEMAYEL |
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